Au Flying Painter, la Géorgie se raconte à travers la mode

Natalia Vatsadze est la cofondatrice du Flying Painter, une boutique où chaque vêtement s’inspire de la culture et de l’histoire de la Géorgie.

« Je garde de bons comme de mauvais souvenirs de l’époque soviétique », s’amuse Natalia Vatsadze. Une période qu’elle a décidé de ne pas occulter de son esprit et dont elle s’inspire pour ses créations. Au Flying Painter, la boutique qu’elle a cofondée en 2016 avec deux amis, Bobo Mkhitar et Ekaterina Ketsbaia, le passé inspire et côtoie le présent.

 La boutique est installée dans la cour de la Fabrika, bâtiment qui était anciennement la plus grande usine textile du Caucase jusqu’à ces dernières années. « On n’a quasiment rien changé », dit-elle en montrant d’anciennes photos.

Elle se dirige vers une partie de la boutique où se trouvent des vêtements pour femmes et enfants. « Ces pièces-là ont été retrouvées dans des cartons. Elles ont été cousues dans l’usine entre 1985 et 1992 », détaille-t-elle. La collection porte le nom de Nino en référence au nom de l’usine.

Les pièces accrochées sur le portant dénotent des autres tenues, plus modernes, qui s’inspirent tout même de la culture, de l’histoire politique et sociale du pays, voire des objets du quotidien.  « Ces manteaux, par exemple, sont faits à base de tapis que l’on trouvait accroché derrière les lits à l’époque », explique-t-elle.

 Ici, on ne parle pas de vêtements, mais de pièces. « Pour nous, la mode ne consiste pas seulement à faire de beaux vêtements. Toute pièce se doit de raconter une histoire et de porter un message politique”, explique-t-elle.

Pour illustrer son propos, Natalia décroche un bombers du portant et montre l’intérieur d’une des poches. Il y est imprimé un extrait de la Constitution. « Dans les années 90, il y avait de la corruption de la Police. Certains policiers mettaient des sachets de drogue dans la poche des gens pour les obliger à payer sous peine de les envoyer en prison. Les gens ont commencé à déchirer ou coudre leurs poches. On a décidé d’y imprimer la Constitution pour que chacun connaisse ses droits », raconte-t-elle.

Elle se dirige ensuite là où se trouve une autre de leur collection, « Karamaniani ». Natalia décroche un manteau du portant. Derrière est brodé une série de lettres en géorgien.  « C’est un mot qui est tiré d’un recueil de poème Persan du XVIIe siècle qui s’appelle Karamaniani. Il était déclamé dans les bazars et lieux de rencontres par des conteurs. C’était le deuxième ouvrage le plus lu en Géorgie. Pour chaque pièce de la collection on brode un mot du recueil. », explique-t-elle.

« La mode était le dernier de nos soucis »

La chute de l’URSS est une des périodes les plus marquantes dans l’histoire de la Géorgie. Le pays traverse alors une grave crise économique. « Certains n’avaient pas de gaz, pas d’électricité, ils avaient à peine de quoi se nourrir, détaille Natalia. La mode était le dernier de nos soucis. Pour les Géorgiens, l’essentiel était d’avoir quelque chose sur le dos et de dépenser le moins possible. »

Aujourd’hui encore, le style vestimentaire de la plupart des Géorgiens est minimaliste. « Si j’achète un t-shirt jaune, je suis obligée d’acheter autre chose avec, alors qu’avec un simple T-shirt noir, je peux tout mettre », explique-t-elle.  

” Tous les créateurs géorgiens ne font pas un style post-soviétique “

Cette période inspire notamment le plus connu des créateurs géorgien, Demna Gvasalia, fondateur de Vêtements (2013) et actuel directeur artistique de la maison Balenciaga. « Le style de Demna est post-soviétique », explique la créatrice. Tenues oversize, utilisation de logo et objets de la vie quotidienne, le style du créateur détonne avec la vision européenne de la mode et a attiré les regards vers la scène créative géorgienne.

Au-delà de Demna, des créateurs géorgiens comme Irakili Rusadze (Situationnist), Georges Keburia ou Lako Bukia ont vu leurs créations portées par des célébrités comme Kylie et Kendall Jenner, Bella Hadid ou encore Rihanna.

« Tous ces créateurs géorgiens n’adoptent pas un style post-soviétique, prévient Natalia. Beaucoup de jeunes créateurs expérimentent et ne s’inspirent pas forcément de cette page de l’histoire ». Pour la créatrice, l’essentiel est de reconnaître cette période et de ne pas chercher à totalement l’effacer.

Images : Keisha MOUGANI

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