En Union soviétique, la Géorgie était spécialisée dans la production industrielle de thé. Cette activité s’est effondrée à la chute de l’URSS. Mais ces dernières années, de petits exploitants de thé biologique et haut-de-gamme repartent à l’assaut du marché.
L’arbre à thé a ceci de magique qu’il suffit de couper ses feuilles pour relancer sa pousse, même s’il a passé des années à l’abandon. Quand le grand-père de Thorniké Shekiladze a acheté, près de sa ferme, quelques hectares couverts de buissons à thé, ceux-ci dormaient depuis la chute de l’URSS. « C’était en 2011. Il a eu un très bon instinct », raconte Thorniké. Aujourd’hui, il tente de relancer cette activité avec l’ambition de produire un thé haut-de-gamme, à flanc d’une chaîne de montagne du centre du pays.
Le Ceylan russe
Le thé en Géorgie est une activité qui vient de loin. En 1847, la Russie impériale, plutôt que d’importer son thé de Chine, ambitionne d’avoir sa propre production, envieuse des Britanniques qui en faisaient pousser dans leurs colonies indiennes. Après avoir tenté le coup sur les côtes humides de Crimée, les Russes ont finalement dompté la plante en Géorgie, nouvellement intégrée à l’Empire. Le climat et la géologie de l’ouest du pays se sont révélés idéaux.
Au XXe siècle, la Géorgie devient le principal fournisseur de thé de l’URSS. On y produit en quantités industrielles un thé de piètre qualité, que boivent les habitants de toutes les Républiques soviétiques. Mais les usines et plantations n’ont pas survécu au choc du passage à l’économie de marché, et la production, qui dépassait les 150 000 tonnes dans les années 1980, s’effondre.
Il faudra attendre 2014 pour que la production industrielle reparte, stimulée par des investissements d’entreprises proches du gouvernement. En 2016, l’Etat géorgien a lancé un plan pour la réhabilitation de milliers d’hectares de plants abandonnés à la prédation des mauvaises herbes. Dans cet élan, une myriade de petits producteurs se sont frayé un chemin, en se positionnant sur un créneau bio et haut-de-gamme, principalement destiné à l’export. En 2021, la Géorgie a exporté 1340 tonnes de thé, avoir une part du bio avoisinant les 40%.


Thé des neiges
« J’ai saisi l’occasion. J’ai lu, autant que pouvais, pour tout apprendre pour ressusciter la plantation achetée par mon grand-père », raconte Thorniké, qui s’est par ailleurs formé l’université du Yunnan, en Chine.
La majorité des exploitations de thé sont situées dans la région de Guria, sur les côtes de la Mer noire. Mais celle Thorniké et de son épouse Megi se trouve au centre, près de Chiatura. La région est connue pour ses mines de manganèse, sa petite station de ski et ses téléphériques antédiluviens. Loin des cartes postales de plantations tropicales, les buissons à thé, en hiver, sont couverts de neige. « La région se trouve à la frontière des climats de l’est et de l’ouest géorgiens, ce qui donne aux thés de la région des caractéristiques très spécifiques », explique Megi. Outre la leur, on compte une quinzaine de plantations dans la contrée.
Thorniké a réalisé environ 30 000 euros d’investissement pour lancer l’exploitation. En été, jusqu’à 15 ouvrières agricoles travaillent sur la plantation. Elles cueillent les feuilles à la main. Du roulage à l’empaquetage, Thorniké et Megi s’occupent du reste, à l’aide de machines de taille modeste. En haute saison, il peuvent produire jusqu’à 170 kg de thé en une journée.
Les feuilles sont roulées et séchées, sans être broyées. La technique, nommée « orthodoxe », est un gage de qualité. Le thé blanc de première cueillette est vendu jusqu’à 300 euros par kilogramme. Thorniké, pour autant, continue d’affiner ses techniques. « Le thé est une science complexe, dont on ne cesse jamais d’apprendre et de percer les mystères. », explique-t-il.

Tea tour
Auprès des spécialistes, le thé bio géorgien a su construire sa réputation. Thorniké et Megi reçoivent des clients venus de République tchèque, des États-Unis ou encore de France. Fins palais du thé, leurs acheteurs sont souvent des propriétaires de magasins spécialisés, à la recherche de perles rares de par le monde.
Fondée en 2011, la Georgian Tea organic producer association oeuvre au développement et à la promotion du thé géorgien à l’international. De nombreux sites de promotion touristique invitent les voyageurs du monde à découvrir « la route du thé géorgienne », sur le modèle des “routes du vin” locales.

Thorniké et Megi comptent eux aussi sur le tourisme pour rentabiliser leur activité. En saison, ils logent des visiteurs dans la ferme familiale. Afin d’équiper leurs chambres d’hôtes, ils ont obtenu des subventions de fonds européens consacrés à la promotion l’agrotourisme en Géorgie. Pour leurs hôtes, la grand-mère de Thorniké prépare des plats géorgiens traditionnels. Elle vit à la ferme toute l’année.
Le jeune couple, lui, est entre la montagne et la ville. À Tbilissi, Megi est attachée d’enseignement en géodynamique, tandis que Thorniké y fabrique des meubles lorsqu’en en hiver, ses plants de thé dorment sous la neige. “Mais je suis un homme de la campagne”, raconte celui qui a trouvé, dans le thé d’exception, sa vocation paysanne.
Photo Nell Saignes