De plus en plus de jeunes médecins quittent la Géorgie pour s’installer en Europe. Études coûteuses, salaires très bas, gardes de plus de 24 heures… Les raisons sont nombreuses. Ils s’exilent dans l’espoir de s’offrir une vie meilleure.
“Le système d’apprentissage géorgien en médecine est très médiocre”. Pneumologue de 27 ans, Khatito Jgamaia souhaite quitter la Géorgie au cours de l’année pour l’Europe. Il ne s’imagine plus pratiquer à Tbilissi. Et pour ce faire, il apprend consciencieusement l’allemand. Son objectif: s’installer dans une ville moyenne d’Outre-Rhin.
Dans un pays où 21,9% de la population vit sous le seuil de pauvreté, la jeunesse géorgienne peine à se projeter professionnellement. Alors elle choisit de s’exiler. Turquie, Autriche, Hongrie, République tchèque, Allemagne… L’Europe est leur premier choix. En 2022, un étudiant géorgien sur cinq quittait son pays natal pour s’installer à l’Ouest. Pour le pneumologue, c’est une question essentielle: il doit quitter le pays car il ne gagne pas assez sa vie en tant que jeune médecin.
Un cursus universitaire coûteux
Pour les futurs médecins géorgiens, la phase la plus difficile de leur cursus est l’internat. « Nous devons payer pour effectuer notre internat dans une structure médicale. Nous sommes donc obligés d’avoir des emplois à côté de l’internat pour pouvoir financer cette grosse dépense », regrette Inuka Metreveli, étudiante en radiologie. En Géorgie, une année universitaire de médecine coûte 4 000 euros soit environ 11.400 laris, alors que le salaire moyen est de 350 euros par mois. Il faut ensuite y ajouter le prix de l’internat fixé par les hôpitaux. Les apprentis-médecins se retrouvent très facilement endettés à cause de ces frais universitaires.
Au sein des universités géorgiennes, les cours dispensés s’alignent sur le programme de l’Union européenne. Le cursus général dure donc six ans. Les étudiants choisissent ensuite leur spécialité et pratique leur internat.
Après son cursus à la Tbilissi State Medical University, Inuka Metreveli a débuté en tant qu’interne en radiologie dans la capitale. Malgré le cumul de son travail à l’hôpital et d’un job étudiant, elle n’a pas pu financer complètement son internat. “J’ai décidé de tenter ma chance dans un autre pays, reconnait-elle. J’ai choisi l’Autriche afin de pouvoir y obtenir une meilleure condition à l’avenir”. Elle a d’ailleurs choisi de s’installer définitivement à Vienne en faisant reconnaitre son diplôme géorgien et y poursuivre sa carrière .
« Les salaires sont si bas pour ce qu’on fait »
Le choix de l’expatriation se fait pourtant à contre-coeur pour nombre de futurs médecins. « Je ne voulais pas forcément quitter la Géorgie, mon internat me plait beaucoup, confie Elene Metreveli, interne en gynécologie à la clinique Gagua de Tbilissi. Malheureusement, les salaires sont si bas pour ce qu’on fait. Mon projet est de m’installer en Turquie : j’aurai un meilleur niveau de vie et de bonnes conditions de travail. » Dans ce pays du Caucase, les jeunes médecins touchent en moyenne un salaire mensuel de 700 laris, soit à peine 230 euros. C’est bien inférieur au salaire moyen du pays. Alors que chez leurs voisins turcs, les médecins gagnent trois à quatre fois plus par mois.
Selon la startup Teleport, la ville de Tbilissi se classe à la 256e place en termes de revenus attribués aux médecins parmi 265 villes à travers le monde. Et les jeunes médecins le ressentent. « Nous faisons des permanences de plus de 24 heures à l’hôpital, nous sommes confrontés à la mort chaque jour pour qu’à la fin nous ne puissions presque pas payer notre loyer », s’indigne Viktor Gibloa, cardiologue diplômé depuis deux ans. S’il n’a pas encore choisi le pays où il souhaite s’expatrier, il sait pertinemment qu’il ne pourra pas poursuivre longtemps sa carrière en Géorgie.
Et pour les médecins qui exercent depuis de nombreuses années, l’augmentation du salaire mensuel se plafonne à 400 laris supplémentaires, soit environ 130 euros. Cette perspective d’avenir n’est, pour le moment, pas suffisante pour retenir les futurs médecins dans leur pays natal. Une fuite des cerveaux qui fragilise encore un peu plus un système de santé qui repose essentiellement sur des structures privées.