Violences faites aux femmes: «elles ne peuvent pas se permettre de quitter le foyer»

En Géorgie, des associations tentent d’alerter sur les violences faites aux femmes. Elles dénoncent une société géorgienne patriarcale, une absence de traitement médiatique et une police majoritairement masculine.

Le 18 janvier 2021, une jeune géorgienne de 26 ans, Beta Nachkebia a été retrouvée assassinée par son ex-mari à Sourami. Si ce féminicide a fait la une des journaux géorgiens, il n’a pas entraîné de manifestations ni particulièrement ému. Les associations se mobilisent pour percer ce silence. « À tous les niveaux, la société patriarcale géorgienne nourrit quotidiennement les violences conjugales », déplore Ekaterine Gamakharia, dirigeante de l’ONG Women Fund Sukhumi basée à Tbilissi. Depuis 1997, elle lutte contre les violences faites aux femmes. Et pourtant, en 25 ans d’engagement, les violences conjugales sont toujours aussi présentes dans le pays.

En 2022, la Géorgie, peuplée de 3,7 millions d’habitants, a décompté une vingtaine de féminicides. En comparaison, la France, avec ses 67 millions d’habitants, en a recensé 104 pour la même année. Il y a donc trois fois plus de féminicides en Géorgie qu’en France. Malgré cela, 75% des femmes géorgiennes pensent toujours que les violences conjugales relèvent de la sphère privée selon une enquête nationale réalisée en 2015.

Ekaterine Gamakharia, dirigeante de l’ONG Women Fund Sukhumi basée à Tbilissi © Juliette Picard

Dans les milieux ruraux géorgiens, les parents du mari vivent souvent sous le même toit que les époux et la femme est considérée comme soumise à son mari. « C’est difficile pour une femme de parler de son mari violent à ses beaux parents. Si elle dépose plainte contre son mari et qu’il se fait arrêter, c’est comme si elle leur enlevait leur enfant », reconnait Ekaterine Gamakharia. De plus, si la victime trouve le courage d’en parler, elle n’est ni comprise ni soutenue, même par les femmes de sa propre famille.

Une police majoritairement masculine

De nombreuses associations se mobilisent pour briser cette loi du silence. L’ONG Women Fund Sukhumi organise des campagnes de sensibilisation et met en oeuvre des aides psychologiques, médicales et judiciaires pour accompagner les victimes. « Mais cela ne suffit pas, le problème est géorgien, la position des femmes est encore considérée par tous comme inférieure à celle des hommes », regrette Ekaterine Gamakharia. 

L’UNFPA Géorgie, le Fonds des Nations Unies pour la population, constate aussi cette omerta. Elle a déclaré que seul 2% des femmes victimes de violences conjugales se rendaient dans un commissariat. Et quand elles osent franchir le pas, elles se retrouvent généralement face à un auditoire masculin. Au sein de la police géorgienne, les femmes représentent seulement 5% des effectifs, selon l’ONG Women Fund Sukhumi.

Dans de nombreux commissariats, il n’y a pas de bureau dédié aux victimes de violences conjugales. « Les victimes doivent parfois s’exprimer devant tout le commissariat, en plein au milieu de la salle. Cela ne permet vraiment pas de libérer la parole », regrette Ekaterine Gamakharia. La Géorgie s’était pourtant engagée à renforcer son action de lutte contre les violences faites aux femmes en signant la convention d’Istanbul en 2016. 

Entrée de l’ONG Women Fund Sukhumi à Tbilissi © Juliette Picard

« Ce n’est clairement pas une priorité »

Ce silence s’explique aussi par leur dépendance économique et le difficile accès à l’emploi. Les Géorgiennes peinent à trouver un emploi. Selon une enquête réalisée par l’UNFPA Géorgie, seulement 55% des femmes travaillent contre 73% des hommes. « Les femmes ont dû mal à se faire employer. Cela favorise la dépendance des femmes vis-à-vis de leurs maris, elles ne peuvent pas se permettre de quitter le foyer familial même si elles subissent des violences », se révolte la représentante de l’ONG Women Fund Sukhumi.

« À partir du moment où elles ont des enfants, c’est encore plus compliqué, poursuit-elle. Dans les régions rurales, il y a peu de crèches ou d’écoles qui coïncident avec leurs heures de travail. Surtout pour les mères qui travaillent dans des hôtels ou des supermarchés avec des horaires décalés. C’est un cercle vicieux. » Dans les villes, des aides sont mises en place pour garder les enfants et de nombreuses crèches s’adaptent aux horaires décalés. L’ONG Women Fund Suhkumi finance même des formations ou des projets d’entreprise pour qu’elles puissent reprendre un travail.

Les médias abordent très peu les violences conjugales. Les associations et ONG partagent pourtant les renseignements nécessaires aux victimes et conduisent des campagnes de sensibilisation. « Si nous voulons qu’un média en parle, nous devons payer pour un article. Ce n’est clairement pas une priorité pour eux en Géorgie », lance la représentante de l’ONG. Ce traitement médiatique limité nourrit l’omerta sur le sujet.

Photos: Juliette PICARD

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