Masteri et Jeronimo font exister la scène rap en Géorgie

Aujourd’hui, le rap est devenu le deuxième style de musique le plus écouté en Géorgie, après la techno. Mais les artistes peinent à rencontrer un succès majeur. Jeronimo et Masteri, deux rappeurs actifs de Tbilissi, racontent la Géorgie à travers leurs textes. Rencontre.

“Vous savez, je n’ai accepté cette interview que parce que vous êtes française. J’aime beaucoup le rap français”, confie Jeronimo, Anzor Chikhladze de son vrai nom, en ouvrant la porte d’Insound studio. Ce lieu d’enregistrement est connu et fréquenté par tous les rappeurs de Tbilissi. L’artiste n’est pas friand des médias. Tout ce qu’il fait, c’est pour “l’amour du hip-hop”. Les premiers artistes qui lui viennent à l’esprit sont Mc Solaar, NTM, IAM ou encore Booba. “Mais le Booba d’avant, pas celui d’aujourd’hui”, précise-t-il en riant.

Pour Jeronimo, le rap doit être synonyme d’honnêteté et de vérité. Il lance l’un de ses morceaux sur son ordinateur. L’influence old school (ancienne école) est totalement assumée. “Je n’aime pas le rap qui a pour seul but de frimer avec des armes, avec des filles ou avec des choses matérielles. Ce n’est pas mon rap, ça.” 

Une définition à laquelle Masteri, George Pavliashvili de son vrai nom, adhère. “Ici, les rappeurs n’ont pas de Lamborghinis ou de Ferraris. On rappe la réalité. Et puis, si on se met à raconter n’importe quoi sur quelqu’un, il se pourrait qu’on nous appelle et qu’on nous demande de rendre des comptes,” prévient l’artiste de 34 ans. Pour preuve, le rappeur a écrit un couplet juste avant notre interview. « Ça parle des jeux d’argent et de la manière dont ça touche les jeunes. »

Koutaïssi, berceau du rap géorgien 

Jeronimo commence le rap en 1993. Cette période là marque la naissance du rap géorgien. L’artiste de 42 ans assiste à l’éclosion du genre musical puisqu’il grandit à Koutaïssi, à l’ouest de Tbilissi, qualifiée de véritable berceau du rap géorgien. “Cette ville, c’est le centre culturel de la Géorgie. C’est là que sont nées de nombreuses tendances culturelles comme le hip-hop, l’électro et le rap,” explique-t-il. À cette époque, l’artiste a 11 ans mais son âme d’enfant laisse rapidement place à une grande maturité. “On était des enfants sauvages parce que l’environnement dans lequel on évoluait nous ensauvageait”, raconte-il en évoquant la précarité rencontrée durant son enfance. La musique est devenue un échappatoire. 

À ce moment-là, un morceau en particulier sera décisif. Protect your neck du groupe de rap new-yorkais Wu-Tang Clan. “C’est cette chanson qui m’a donné envie de laisser parler mes émotions”, se souvient l’artiste. Mais au départ, ce n’était pas suffisant. Ce qui est écouté et populaire aux Etats-Unis, terre sainte du rap, n’arrive que des années plus tard dans le pays en raison de la censure opérée par l’ancienne URSS. “On souffre encore de ça aujourd’hui, constate Masteri. La Géorgie est un petit pays de 4 millions d’habitants, ce qui explique aussi pourquoi le rap géorgien a du mal à percer. Et puis, ici, il n’existe pas de maison de disques ou de manager artistique. Le rap n’est pas une industrie à part entière comme aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en France”, explique le rappeur, d’un air frustré. 

La précarité autour du métier

Les artistes s’autoproduisent. Ils privilégient le format de single, au détriment de l’album, car moins onéreux et plus rapide. Jeronimo et ses amis rappeurs sont confrontés eux aussi à cette réalité. “À nos débuts, on s’est débrouillé pour trouver des studios d’enregistrement. Quelque part, on a initié un mouvement puisque cela a permis à d’autres rappeurs d’avoir accès à ce genre d’endroit et d’enregistrer des morceaux à leur tour”, se souvient l’artiste. 

Malgré l’absence de structure et d’investissements dans la scène rap, Masteri persévère. “Je paye tout de ma poche. Mes sessions d’enregistrement, mes clips… tout.” Pour financer ses projets, l’artiste tient un restaurant de burger dans la capitale. “C’est aussi pour ça que je mets du temps à sortir des morceaux. Ça demande beaucoup d’argent”, regrette-t-il. Même si, il le précise, Masteri ne fait pas ça pour l’argent. « J’adore quand on me reconnaît dans la rue. C’est une sensation incroyable”, dit-il, le sourire aux lèvres.

Vidéo: Imane Lyafori et Héloïse Bauchet

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