Tekuna Gachechiladze assise à la table de Culinarium Khasheria, un "endroit pour soigner votre gueule de bois " avec des plats typiques géorgiens.

Tekuna Gachechiladze, la cheffe qui a fait sortir les femmes géorgiennes de la cuisine familiale

Arrivée aux Etats-Unis dans les années 1990 pour y obtenir son doctorat en philosophie, Tekuna Gachechiladze y est finalement devenue cheffe. Depuis son retour en Géorgie en 2005, elle incarne la professionnalisation féminine de la cuisine géorgienne.

Mon père voulait se tuer“. Attablée à la Culinarium Khasheria, un de ses établissements du centre de Tbilissi, Tekuna Gachechiladze se remémore la réaction familiale lorsqu’elle s’est réorientée dans la cuisine lors de son séjour à New-York dans les années 1990. Trente ans plus tard et 9.000 kilomètres plus loin, la cheffe a inspiré une génération entière de géorgiennes à vivre de leur art culinaire ancestral. À passer d’une tradition familiale et intime à une gastronomie professionnelle de restaurant.

Il y a de ça une quinzaine d’années, un journaliste surnommait Tekuna Gachechiladze “The Queen of Georgian Food “. La cheffe s’agace, mais le sobriquet s’imprime dans les esprits. Il faut dire qu’ici en Géorgie, Tekuna est une figure qui parcourt le monde pour faire la promotion de la riche palette de plats originaires de son petit pays du Caucase.

Les champignons de bois assaisonnées aux herbes et cuits dans des artichauts sont l’une des spécialités de Tekuna.

Des débuts difficiles

Mais pour monter sur la scène d’un TEDx Talk, Tekuna a d’abord dû se faire une place en Géorgie. Après des débuts aux Etats-Unis dans un restaurant à la carte d’inspiration française, Tekuna revient dans son pays natal en 2005 pour participer à l’ouverture d’un bistro français avec des amis. Le succès est immédiat, et elle ouvre rapidement son propre restaurant. Puis tout s’enchaîne. En presque vingt ans, Tekuna a ouvert une vingtaine d’établissements et est encore aujourd’hui à la tête de quatre d’entre eux.

Quand vous êtes à New-York, vous pensez que tout est possible. Mais à mon retour en Géorgie, l’accueil a été bien différent“. À la fin du repas, Tekuna va à la rencontre des clients dans son habit de cheffe. Elle est confrontée plusieurs fois à leur incrédulité, ses interlocuteurs étant incapables d’imaginer qu’une femme dirige le lieu, dans une société aux réflexes encore très machistes. “Je les emmenais dans les cuisines pour leur préparer un plat sous leurs yeux pour qu’ils me croient“, se souvient-t-elle.

Un autre plat de Tekuna : les dolma, des feuilles de vigne baignant dans la crème et farcies de viande hachée.

Des cuisines majoritairement féminines

Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, les premiers restaurants à l’occidentale sont apparus en Géorgie, où il n’existait auparavant que les caves à manger traditionnelles. Les femmes qui s’occupaient de cuisiner pour leur famille ont alors rapidement œuvré dans les cuisines des établissements qui s’ouvraient partout dans le pays.

Grâce à Tekuna, elles dirigent désormais elles-mêmes leur restaurant. À l’instar d’Irina, cheffe au Veriko. Le restaurant, qui propose des plats géorgiens traditionnels, a reçu le label du prestigieux guide culinaire français Gault et Millau en 2019. “C’est quelque chose dont je suis très fière aujourd’hui, d’avoir été un modèle pour tant de jeunes femmes “, se réjouit Tekuna.

La France en retard?

Devenue une cheffe reconnue, Tekuna Gachechiladze est régulièrement invitée pour des séminaires à l’étranger. À l’occasion d’un stage de deux semaines dans les cuisines du Ritz, à Paris, elle a pu mesurer l’écart qui séparait les cuisines géorgiennes désormais majoritairement féminines de celles de l’Hexagone.

Les femmes n’étaient pas vraiment appréciées, on me traitait comme si j’épluchais simplement les pommes de terre. Alors que j’avais payé beaucoup d’argent pour ce stage!“, dénonce Tekuna. ” J’ai beaucoup entendu mes collègues féminines françaises se plaindre le leurs conditions de travail. Ce n’est pas aussi dur en Géorgie“, abonde la cheffe.

Aujourd’hui, la situation des femmes dans les cuisines géorgiennes a bien évolué. À tel point que lorsque Tekuna a ouvert son école de cuisine, elle a vu les hommes se presser en nombre. “Maintenant ce sont eux qui se forment à la cuisine“, constate Tekuna non sans une pointe d’ironie.

Images : Héloïse Bauchet

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